La prohibition de la vente subordonnée

Les fondements : protection du consommateur et de la concurrence

L'interdiction de la vente subordonnée date de l'immédiate après-guerre caractérisée par un contexte de pénurie. Il s'agissait d'empêcher que le détenteur d'une ressource rare n'impose au client l'achat concomitant d'un produit beaucoup plus courant. D'une manière générale, la prohibition vise que le client ne soit pas forcé d'acheter ce dont il n'a pas besoin ou au-delà de ses besoins.

On oublie souvent que la prohibition de la vente subordonnée a aussi une dimension protectrice de la concurrence. En effet, la possibilité pour une entreprise d'imposer un produit par le biais de la vente subordonnée porte atteinte aux producteurs concurrents. Au-delà du caractère déloyal du procédé, avec l'extinction progressive de la concurrence sur ce produit, c'est le consommateur et l'économie qui sont perdants.

L'évolution du contexte économique et la valorisation croissante de la concurrence comme valeur cardinale de nos sociétés ont amené une ré-interprétation des règles de la concurrence dans le sens d'une plus grande liberté des acteurs. Ces règles font désormais l'objet d'une analyse moins « légaliste » qu'économique. Autrement dit, c'est le marché lui-même qui assure la régulation et l'autorité n'intervient plus à chaque violation de la règle mais seulement si la concurrence n'est plus en mesure d'être active et d'opérer le même résultat.

P. Nihoul (« la concurrence et le droit », éd. EMS), dont nous reprenons ici l'analyse, cite justement le cas de la vente liée. Tant que l'entreprise qui propose des prestations subordonnées n'est pas dominatrice sur un marché, le client garde la possibilité de sanctionner cette offre en recourant à un concurrent : il n'y a pas lieu d'intervenir. Dans le cas contraire, le client n'a pas le choix, la concurrence n'est plus active, l'autorité doit intervenir.

L'interprétation jurisprudentielle en France

La jurisprudence dont s'autorise (abusivement) la DGCCRF pour justifier sa tolérance procède essentiellement d'un arrêt de la Cour de Cassation de 1984 (Crim. 29 oct 84 Aumonier) salué par la doctrine comme l'adaptation d'une règle aux réalités de l'économie. Concrètement : le développement de la vente par « pack » des produits alimentaires ; plus généralement : laisser la liberté aux acteurs économiques et notamment aux producteurs le soin de proposer de nouvelles offres.

Il convient de dire que la règle n'est pas abolie mais interprétée. Contrairement à ce qu'avance la DGCCRF, le juge ne recourt pas à la notion « d'exception à la vente subordonnée » mais recherche si la qualification d'offre subordonnée a lieu d'être retenue. Ainsi, pour lui, plusieurs unités d'un même produit forment « un seul produit ». En d'autres termes, la règle demeure dans toute sa rigueur, on cherche à voir s'il y a lieu de l'appliquer.

La Cour pose que la technique du « pack » est une pratique commerciale usuelle instaurée dans l'intérêt des consommateurs. Un commentateur propose une interprétation en terme « d'usage » avec le caractère obligatoire qui s'y attache. En veillant à ce que la pratique commerciale imposée par le milieu professionnel soit instaurée dans l'intérêt des consommateurs, la Cour s'assurerait d'un équilibre des intérêts d'où découlerait le caractère obligatoire de la pratique.

Un peu contradictoirement, cet auteur estime aussi que le juge « valide » la pratique commerciale en cause en s'inspirant d'abord de l'esprit du texte : que le client ne soit pas forcé d'acheter plus qu'il ne veut. C'est pourquoi une lecture plus stricte de l'arrêt nous semble s'imposer : la Cour ne valide pas toute « pratique commerciale instaurée dans l'intérêt des consommateurs ». Elle se contente pour le cas des « packs » à constater :

  • explicitement, la banalité de leur usage et leur intérêt pour les consommateurs ;
  • implicitement, la profonde unité et similarité entre les constituants du « pack » qui facilite leur perception comme un bien unique et, surtout, l'innocuité de la pratique.

Une analyse des cas concrets connus en jurisprudence milite d'ailleurs en ce sens. Il s'agit à chaque fois de petites choses et de même nature (produits de boucherie et de pâtisserie, un quotidien avec un hebdomadaire, une série de casseroles). Ce sont également des produits du quotidien et simples au sens où l'achat lié n'emporte pas de conséquences importantes à terme.

Surtout, la pratique intervient dans un contexte concurrentiel : l'offre de charcuterie est abondante, on peut trouver des casseroles vendues à l'unité sans difficulté. Les consommateurs, au courant des prix, sont en mesure d'évaluer la valeur respective des éléments de l'ensemble comme d'aller à des offres concurrentes non liées.


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