Voyez la décision ici.
Monsieur LE ROUX a fait
l'acquisition, auprès d'un site de commerce en ligne, d'un ordinateur portable
de marque PACKARD BELL dont les caractéristiques correspondaient exactement à
ses besoins, tant sur le choix de la marque que des composants, mais qui était
préinstallé d'un système d'exploitation Microsoft Vista Familiale Basique
(ci-après, le « SE »).
Le site marchand ne vendant aucun autre ordinateur de cette marque, doté de caractéristiques matérielles identiques, mais dépourvu de système d'exploitation, Monsieur LE ROUX n'a eu d'autre choix que de l'acheter avec la licence d'utilisation de ce système d'exploitation.
Au premier démarrage de l'ordinateur, le contrat de licence du SE (dit « CLUF » ou Contrat de Licence Utilisateur Final) s'est affiché pour la première fois devant les yeux de Monsieur LE ROUX, en lui indiquant que s'il ne souhaitait pas l'utiliser, il pouvait en demander le remboursement auprès du constructeur, ce qu'il a fait.
En réponse, la société PACKARD BELL lui a indiqué que la
« procédure de remboursement » impliquait le renvoi de
l'ordinateur à ses ateliers pendant un délai maximum de 5 jours et qu'elle
prenait à sa charge le montant des frais de transport. En retour, Monsieur LE
ROUX a demandé au constructeur de lui faire une autre proposition n'impliquant
pas le retour de la machine qu'il estimait abusif.
Mais le constructeur n'a jamais fait d'autre offre, contraignant ainsi Monsieur
LE ROUX à saisir le juge de proximité de NANCY pour qu'il soit statué sur ces
points.
Monsieur LE ROUX a soutenu que l'ensemble de la procédure de remboursement imposée par le constructeur était abusive au regard des articles L. 132-1 et R. 132.1 du Code de la consommation, faisant valoir :
Il a demandé au juge de proximité la condamnation de la société PACKARD BELL à lui payer :
En réponse, la société PACKARD BELL a prétendu :
Elle a donc demandé que Monsieur LE ROUX soit débouté de toutes ses demandes.
L'article L. 121-20 du Code de la consommation offre au consommateur qui fait un achat par un moyen de communication à distance (ici, internet), la possibilité de se rétracter dans les 7 jours suivant son achat si le produit ne lui convient pas. Cet argument a été balayé par le juge, qui a rappelé que Monsieur LE ROUX n'a jamais souhaité renvoyer son ordinateur et qu'il voulait, au contraire, le conserver sans ses logiciels préinstallés. Il était donc normal que Monsieur LE ROUX n'utilise pas cette faculté de rétractation.
Le juge rappelle que l'article 7 de l'arrêté du 3 décembre 1987 fait obligation au professionnel d'indiquer le prix du lot et surtout celui des produits composant individuellement ce lot. En l'espèce, bien que PACKARD BELL ait expressément reconnu ne pas avoir respecté cette obligation, le juge en a déduit « que ce manquement ne saurait donner un caractère abusif à la procédure de remboursement et la juridiction ne saurait en tirer la moindre conséquence dans la mesure où Monsieur LE ROUX ne sollicite pas la résolution de la vente de l'ordinateur ».
Cette motivation est pour le moins surprenante. En effet, il n'y avait nullement besoin d'avoir recours à la notion de résolution de la vente pour apprécier l'obligation de remboursement, puisque cette obligation résulte du contrat de licence (Utilisateur Final, dit "CLUF"). La question centrale était donc celle du respect par le constructeur, de ses obligations contractuelles, conformément au droit commun des contrats de l'article 1134 du Code civil.
Par ailleurs, en l'absence de toute information sur le prix des logiciels préinstallés préalablement à la vente, le consommateur ne peut pas vérifier si le montant proposé par le constructeur dans le cadre de la procédure de « remboursement » est bien... un « remboursement » au sens propre du terme ! En pratique, on sait pertinemment que non, le constructeur conservant pour lui la marge résultant de la différence entre le prix qu'il a négocié avec l'éditeur du système d'exploitation et le prix auquel il a vendu ce même système d'exploitation au consommateur... Le corollaire du remboursement étant l'information préalable du consommateur sur le prix des logiciels préinstallés, le juge aurait dû relever qu'en ne respectant pas son obligation d'information préalable, il ne pouvait exister aucun « remboursement ». Dès lors, la clause qui impose au consommateur un tarif forfaitaire unique à titre de « remboursement », alors qu'il s'agit plus d'un dédommagement, devait être déclarée abusive. Cette absence d'information engendre un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat que sanctionne précisément l'article L. 132-1 du Code de la consommation.
Le juge a ensuite vérifié que les parties n'étaient pas liées par des contrats dont les clauses seraient abusives et rappelle le principe à cet égard, posé par l'article R. 132-1 du Code de la consommation, qui dispose notamment que :
« Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont de manière irréfragable [on ne peut pas en rapporter la preuve contraire] présumées abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéas de l'article L. 132-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de :
1° Constater l'adhésion du non-professionnel ou du consommateur à des clauses qui ne figurent pas dans l'écrit qu'il accepte ou qui sont reprises dans un autre document auquel il n'est pas fait expressément référence lors de la conclusion du contrat et dont il n'a pas eu connaissance avant sa conclusion [...] ».
Deux contrats étaient donc susceptibles d'être passés au crible : d'abord,
le CLUF (Contrat de Licence Utilisateur Final) du système d'exploitation (SE)
préinstallé Windows, qui permet précisément au consommateur de se le faire
rembourser, et ensuite le contrat de remboursement lui-même puisque le
constructeur impose au consommateur de s'y conformer pour pouvoir bénéficier
d'un remboursement.
Cependant, pour vérifier si le CLUF est opposable au consommateur, le juge a
d'abord dû répondre à l'argument allégué par PACKARD BELL selon lequel Monsieur
LE ROUX pouvait librement choisir un ordinateur dépourvu de système
d'exploitation Windows. Sur ce point, le juge a précisé que Monsieur LE ROUX
avait démontré, pièces à l'appui, que le site ne vendait aucun ordinateur
dépourvu de système d'exploitation préinstallé et que « Ainsi, si
Monsieur LE ROUX souhaitait faire l'acquisition d'un ordinateur portable,
il n'avait d'autre choix que d'acheter un ordinateur portable muni de
logiciels préinstallés et de se soumettre à la procédure de remboursement s'il
ne souhaitait pas adhérer au CLUF ». La motivation est limpide.
Cette question de l'opposabilité du CLUF étant résolue, le juge a examiné les
deux contrats.
Ce jugement constitue une avancée significative dans les droits des consommateurs pour obtenir le choix de leur système d'exploitation lors de l'achat de leur ordinateur. Nous vous livrons quelques pistes de reflexions.
Faute pour le constructeur de justifier du montant exact du prix du système d'exploitation avant la vente et de vouloir en justifier pendant le procès dans lesquels les consommateurs se défendent eux-mêmes, un pis-aller consiste à retenir que la valeur du SE préinstallé est estimée d'un commun accord « entre 10 et 25 % du prix d'un ensemble informatique ». Cette solution n'est en rien satisfaisante, car elle a pour avantage de dédouaner le constructeur de ses obligations. Le contrat de licence offrant au consommateur la possibilité de se faire rembourser, c'est bien un remboursement qui doit être donné par le constructeur au travers de la "procédure de remboursement", et il va bien falloir que les constructeurs repectent un jour leurs obligations contractuelles...
L'une des questions les plus intéressantes auxquelles nous pouvons tenter de répondre, est tirée de l'argumentation de PACKARD BELL dans cette affaire. Le constructeur a reproché au consommateur d'avoir choisi un ordinateur préinstallé d'un SE et en a déduit que s'il avait choisi cette option, c'est parce qu'il s'agissait d'un choix volontaire faisant obstacle à un quelconque remboursement. Dans la présente affaire, le juge a retenu que le site marchand ne vendait aucun ordinateur dépourvu de SE, de sorte que Monsieur LE ROUX n'avait pas eu d'autre choix que de choisir un ordinateur prééquipé d'un SE.
Que se passerait-il si demain, (et cela risque d'arriver inévitablement) les vendeurs proposaient plusieurs références d'ordinateurs vendus dépourvus de SE préinstallés ? L'argument des constructeurs deviendrait-il alors plus fort ?
Pour pouvoir répondre à cette question, nous devons d'abord
rappeler à nos lecteurs ce qu'est en droit « l'élément
déterminant » d'une vente. Il s'agit de la motivation profonde de
l'acheteur, celle qui fait qu'il a porté son choix sur tel produit et pas tel
autre. Nous rappelons maintenant, à l'attention des juges, que l'élément
déterminant de la vente lors de l'achat d'un ordinateur est presque
exclusivement le matériel.
Dans le commerce traditionnel (hors assembleurs), tous les ordinateurs
(portables notamment) étant préinstallés avec le même Windows, il est évident
que le système d'exploitation ne peut constituer un élément déterminant du
choix d'un ordinateur. Si votre choix se porte d'abord sur le système
d'exploitation, vous vous dirigerez naturellement vers un éditeur alternatif
tel que MacOS ou GNU/Linux. Par conséquent, en l'état actuel des choses et pour
les 90 % environ des ordinateurs personnels de la planète diffusés avec
Microsoft Windows, le choix est exclusivement fondé sur le matériel : le
« matériel » peut alors être une marque, parce qu'on on est sensible
au sérieux du constructeur qui a doté ses machines de composants de qualité et
qui offre un SAV de premier ordre. Le « matériel » peut aussi
correspondre aux composants eux-mêmes, parce qu'on se demande si la machine
convoitée sera capable d'exécuter rapidement les tâches qu'on projette de lui
confier : on vérifie donc la puissance du processeur, la quantité de mémoire
vive, la qualité de l'écran, la capacité du disque dur pour y stocker des
données toujours plus importantes (photos, musique, etc.), la qualité de la
batterie pour les portables, la présence d'un lecteur/graveur de CD/DVD haute
définition, le Wifi... Bref, au moment de l'achat nous recherchons tous la même
chose : que notre ordinateur soit une machine à tout faire et tout faire en
même temps. Par conséquent, si le consommateur choisit un ordinateur de marque
PACKARD BELL, doté de tel ou tel équipement qui en fait sa puissance,
ce choix n'est en rien dû au hasard et cela répond à un choix raisonné
lors de l'achat. Même pour les plus néophytes d'entre nous, ces
critères déterminants de choix existent bien : qui ne s'est jamais rendu dans
une grande enseigne du commerce pour acheter un ordinateur PACKARD BELL et
interpeller le vendeur en lui demandant « dites-moi, Monsieur, PACKARD
BELL, c'est fiable et robuste ? », ou encore s'il est suffisamment puissant
pour faire confortablement de l'internet, des jeux, du traitement de texte,
stocker beaucoup de photos numériques, etc. ? Ces critères de choix de
matériel ne font aucun doute et constituent l'élément déterminant de la
vente.
Dès lors, et même si le site marchand avait vendu quelques machines sans marque dépourvues de système d'exploitation comme c'est parfois le cas sur certains sites ou dans quelques (trop) rares enseignes, ce type d'offre n'aurait en aucun cas pu correspondre au choix fait par un consommateur en terme de marque ou de puissance, car aucun grand constructeur n'offre aujourd'hui au grand public la possibilité de choisir le même ordinateur avec ou sans système d'exploitation. Si quelques sites marchands courageux offrent cependant la possibilité de configurer un ordinateur sur mesure, ils n'ont cependant pas de marque (ce qui pour certains peut constituer un obstacle) et sont surtout vendus bien plus chers que ceux proposés par les grands constructeurs dans les sites marchands traditionnels (en raison des volumes produits qui n'ont rien à voir avec le nombre d'unités vendues par les grands constructeurs). Quant à la grande distribution classique, qui pourrait pourtant peser de tout son poids économique, nous regrettons qu'elle ait 10 ans de retard et que leurs vendeurs, souvent mal formés, n'aient bien souvent même pas idée de l'existence d'une offre alternative...
Par conséquent, pour que l'argument d'un constructeur quelconque puisse raisonnablement prospérer sur ce point, il faudrait que le site marchand ait proposé à la vente un ordinateur strictement identique en tous points (en marque et en puissance) à celui convoité par le consommateur, tout en étant dépourvu de système d'exploitation... autant dire que nous n'y sommes pas encore !
Nous observons que la prise en charge des frais par le constructeur pour les frais d'expédition et de réexpédition de l'ordinateur ne change rien au fait que l'indisponibilité de la machine, même pour une très courte période, est génératrice d'un préjudice pour le consommateur.
En cas de litige et compte tenu des méthodes actuelles de vente forcée des systèmes d'exploitation Microsoft Windows, la solution la plus simple pour le consommateur est celle qui consiste à retourner au constructeur l'autocollant COA (qui se trouve sous votre ordinateur portable sur lequel est inscrite la clé du système d'exploitation) avec les éventuels médias de réinstallation si ceux-ci sont fournis par le constructeur (ce qui devient extrêmement rare, en plus !). Mais les constructeurs ont fait valoir, ce qui n'est pas inexact, que rien ne garantissait que le consommateur n'allait pas utiliser le SE Windows préinstallé, plutôt que de l'effacer. Mais, si cette pratique existe, c'est incontestablement de leur faute, car ils imposent la vente d'un système d'exploitation en ayant misé sur le fait que le consommateur ne s'intéresserait jamais à la concurrence, qu'il ne lirait jamais le CLUF et qu'il n'irait jamais en justice pour faire valoir ses droits légitimes. C'est supposer que tous les consommeteurs se comporteraient toute leur vie comme des moutons !
La solution passe donc par une refonte totale de la manière de vendre des
ordinateurs.
Ainsi, plusieurs solutions peuvent être envisagées :
a) La vente d'ordinateurs nus où le consommateur choisit, au moment de l'achat, son système d'exploitation : le Windows qu'il préfère (par exemple, XP ou Vista... et la pratique a démontré que ce choix a été réclamé par certains consommateurs), un système GNU/Linux (il en existe plusieurs centaines, selon les critères de recherche 1, 2, 3) ou tout autre. Selon ce qu'il souhaite, l'ordinateur pourrait alors être livré avec le système d'exploitation préinstallé ou non. Ce choix constitue un vrai avantage pour les constructeurs :
S'il choisit de ne pas acheter du tout de système d'exploitation (parce qu'il en possède un par exemple), là encore le constructeur a l'avantage de vendre un ordinateur de sa marque.
b) Mais on peut également imaginer de façon plus "immédiate" (c'est-à-dire dans le marché actuel où les constructeurs d'ordinateurs personnels ne font pratiquement aucun effort pour proposer aux consommateurs des systèmes d'exploitation alternatifs ou des ordinateurs de marque dépourvus de SE) que lors de l'achat d'un ordinateur sur site, dans le commerce, le vendeur de l'enseigne vous demande si vous souhaitez acheter votre ordinateur avec le système d'exploitation préinstallé Windows ou non :
Commentaire par Frédéric CUIF, Avocat au barreau de Poitiers.