Au moment où l'Europe se lançait, avec l'accord des gouvernements, dans une campagne sans précédent de libéralisation et de démantèlement des monopoles d'État, un autre monopole, privé celui-là, a pu s'établir sans réaction d'aucune autorité. Et ce, malgré un texte prohibant explicitement la vente subordonnée et malgré un impact évident sur le jeu de la concurrence.
Windows ne s'est pas imposé en tant que tel, mais en étant lié au standard matériel dominant. De la période historique où le client disposait d'un choix entre des offres complètes, Apple est le seul concurrent survivant. L'effet de réseau, très fort dans les nouvelles technologies et encore accentué par la vente liée, a favorisé d'abord l'ensemble PC+Windows.
Pour autant, l'identification PC=Windows est abusive. Elle n'est qu'un effet d'optique induit par la vente subordonnée. Sur la base d'un standard matériel (le PC), de nouveaux acteurs auraient proposé de nouveaux OS. L'émergence de Linux montre que c'est possible, tout en illustrant la difficulté de ses promoteurs d'accéder au marché « grand public » verrouillé, contrairement à ce qui se passe sur le marché professionnel.
Prétendre que la concurrence a sa place par l'intermédiaire des assembleurs locaux n'est pas pertinent. Cette alternative, laquelle porte d'abord sur les matériels, n'est pas substituable à l'offre « grand public » pour des raisons tant de prix (un portable est très cher au montage) que de comportement d'achat des consommateurs : l'immense majorité se cantonne à la grande distribution plus ou moins spécialisée. Pour des raisons de prix comme de politique marketing, on peut même douter que l'offre Apple se substitue à celle des PC « grand public ».
La commercialisation récente de mini-ordinateurs qui consacrent l'émergence de Linux (Asus EeePC, de nouveaux utilisateurs de logiciels libres) ne modifie pas l'analyse faite ici du « marché pertinent » : les caractéristiques techniques de ces mini-ordinateurs ne les rendent pas substituables aux autres ordinateurs ; il s'agit plutôt d'un produit nouveau.
Notons enfin qu'une étude récente du Globalisation Institute conclut à l'urgence de faire cesser la vente liée qui nuit gravement à la concurrence sur le marché des systèmes d'exploitation.
La position de tolérance des pouvoirs publics pouvait à la rigueur se justifier tant que la concurrence demeurait vive entre des solutions complètes mais bien différenciées. Mais qu'un acteur tende à monopoliser le marché des OS (et même au-delà), et les pouvoirs publics devaient imposer une séparation nette entre matériel et logiciels pour maintenir un accès au marché pour d'autres entreprises et faire ainsi en sorte que le consommateur continue de bénéficier de la concurrence.
Le droit administratif fait peser sur le service public une obligation d'adaptation en cas d'évolution des circonstances. L'analyse du contexte concurrentiel montre que la décision de tolérer la vente liée aurait dû être revue depuis longtemps.
En s'en remettant au bon vouloir des constructeurs à travers de prétendus rappels pour une meilleure « adéquation aux besoins diversifiés des consommateurs », la DGCCRF s'enfonce dans l'incohérence et l'inefficacité. Pas plus la demande que l'offre ne sont actuellement en mesure de s'exprimer, et l'accoutumance qu'entretient la vente subordonnée est peu susceptible de favoriser une quelconque évolution. L'argument habituel qui voit dans l'attitude des constructeurs une réponse à la demande est donc purement tautologique ; chez les pouvoirs publics, il manifeste d'abord l'occultation complète de l'impact anti-concurrentiel de la vente subordonnée et la fonction protectrice de sa prohibition.