Du véritable intérêt des consommateurs

La réalité de la vente liée n'est pas celle d'une offre « ordinateur+OS » mais bien « ordinateur+Windows ». Qui osera prétendre que la satisfaction d'un besoin puisse s'identifier avec l'imposition d'une marque précise de logiciel ? Qui ira dès lors prétendre que la situation représente un point d'équilibre entre les intérêts en présence ? D'autant que la vente liée n'est pas sans pièges.

Renversons donc l'argument ressassé par les pouvoirs publics en faveur de la vente liée : plus le client est novice, plus il conviendrait au contraire de le protéger de la vente liée !

Le coût du monopole

A l'ère de la « libéralisation » des marchés et de la promotion de la concurrence sur l'air de l'intérêt du consommateur et du dynamisme de nos économies, un secteur aussi essentiel reste sous l'emprise monopolistique d'une firme privée. Ceci génère pour le consommateur un énorme surcoût sur le prix des logiciels, lequel est sans commune mesure avec le coût de revient, comme en témoignent les taux de profitabilité impressionnants de Microsoft.

Les condamnations de Microsoft et les procédures en cours, en Europe comme aux Etats-Unis, sont là pour rappeler que son monopole s'accompagne d'abus portant notamment sur l'imposition de ses logiciels annexes. Si les concurrents sont les premières victimes, rappelons qu'au final, c'est le consommateur qui est affecté : à travers le prix donc, mais aussi et surtout dans son accès aux meilleures technologies.

On est donc loin du contexte factuel identifié dans la jurisprudence et marqué d'abord pas la présence d'une concurrence. L'offre de charcuterie est abondante, on peut trouver des casseroles vendues à l'unité sans difficulté. Les consommateurs, au courant des prix, sont en mesure d'évaluer la valeur respective des éléments de l'ensemble, ce qui n'est pas le cas avec la vente liée, comme l'a reconnu le Ministre de l'économie.

Ne pas être forcé d'acquérir plus qu'on ne veut

S'il est clair qu'un ordinateur a besoin d'un OS et d'autres logiciels, il est tout aussi évident que de nombreux clients sont (ou seraient) en mesure d'y satisfaire par l'accès à d'autres ressources logicielles que celles imposées par les constructeurs. Renvoyer les réfractaires à des offres alternatives sans logiciels est proprement scandaleux. On peut vérifier tous les jours leur quasi-inexistence sur les ordinateurs portables. Quant à la pratique de l'assemblage à la demande, les conditions économiques actuelles en font un marché à part et marginal, qui porte d'ailleurs sur la recherche de spécificités matérielles plutôt que logicielles.

Faire une distinction entre des utilisateurs de Linux prétendument « avancés » et la masse supposée ignorante ne correspond à aucune réalité, tant au regard du niveau des utilisateurs que de la facilité d'usage de Linux. En outre, c'est oublier les clients potentiellement intéressés par Windows mais sur des licences non-OEM ou sur des versions antérieures (XP plutôt que Vista). C'est aussi refuser arbitrairement aux uns l'accès aux avantages de la grande distribution et cantonner abusivement les autres à une offre sans concurrence.

La vente liée « ordinateur+Windows » va d'ailleurs bien plus loin que la seule privation du droit au choix sur la base des critères habituels du prix, de l'agrément, de la qualité ou de la valeur éthique du produit : elle porte atteinte au libre consentement du client à un achat. Les conditions improbables mises au remboursement, quand ce n'est pas son déni pur et simple, sont là pour le rappeler. Prétendre que cette offre répond à la demande majoritaire n'enlève rien à son caractère « obligatoire ». Au demeurant, la situation actuelle montre que cette affirmation est fausse : Windows Vista, objet d'un rejet général et de notoriété publique, continue néanmoins à se vendre par millions de licences du seul fait de la vente liée !

Une vente en pleine opacité

La vente liée s'accompagne d'inconvénients majeurs contre lesquels le client peut difficilement se prémunir. Son opacité et l'absence de contre-offre ne peuvent que retarder dans le public le questionnement sur la véritable valeur de « l'offre », à commencer par la qualité intrinsèque des logiciels proposés. Sans conteste, la vente liée contrevient aux obligations d'information incombant au vendeur comme au constructeur (art L111-1, L113-3 et L134-1 du code de la consommation).

L'information préalable sur les logiciels payants pré-installés, sur leur coût, sur la possibilité de remboursement et ses conditions est tout simplement inexistante ! Sans doute sont-ils encore nombreux, ceux qui croient que tout cela est gratuit. La nouvelle version de présentation du CLUF chez certains constructeurs est même de nature à forcer le consentement : la disparition de l'option "refuser" et la concomitance de l'acceptation du CLUF pour les logiciels constructeurs, présentés comme "nécessaires au fonctionnement de l'ordinateur", ont semé le trouble même chez les plus avertis !

Les règles d'usage spécifiques aux licences OEM ne sont jamais explicitées avant l'achat. Pourtant, ces licences « périssables » avec la carte-mère engagent le client dans un processus de rachat permanent. Le mécanisme de péremption est juridique mais aussi technique, car au gré des versions nouvelles, c'est la compatibilité des anciens logiciels qui n'est pas assurée.

La pré-installation a aussi pour vocation d'orienter vers des formats propriétaires un utilisateur souvent inconscient de l'enjeu. Accoutumé à un logiciel qui par ailleurs est seul capable de lire ses données, soit il sera contraint au rachat de ce logiciel, des logiciels de la même même marque, voire du seul OS (toujours le même !) supportant ces logiciels, soit il servira les intérêts d'une firme qui se rémunère indirectement. Au-delà, avec « l'informatique déloyale », on assiste au projet d'un contrôle de l'usage individuel. C'est toute l'activité sur l'ordinateur qu'il s'agit d'orienter dans « le bon sens ».

Le tatouage, qui a le même objectif en rendant inopérants les autres systèmes d'exploitation, a pour effet de raccourcir artificiellement la durée de vie du matériel alors que l'usage de logiciels reconnus plus économes de la puissance de la machine pourraient prolonger son usage et, partant, augmenter les possibilités de revente d'occasion.


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